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L’argent gouverne le monde ou le sert

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Von Kontrapunkt* vom 14. Oktober 2011

Il fallait que le jugement des agences de notation frappe la superpuissance américaine et certains pays surendettés d’Europe pour réaliser à quel point notre vision du monde économique était faussée. Le fait que les marchés financiers gouvernent de plus en plus l’économie réelle est apparu au plus tard avec la crise financière de 2008. Aujourd’hui il est évident que les marchés gèrent aussi la politique des Etats. Une nouvelle vision du monde s’est imposée. Le pouvoir appartient aux marchés financiers.

Comme „l’industrie financière“, qui de fait ne produit rien du tout, se concentre sur la défense et la valeur de ses intérêts particuliers, elle domine l’économie réelle. Cette dernière dépend du fonctionnement de l’approvisionnement en monnaie et en crédit et de l’offre de services bon marché pour financer ses affaires. Mais les devoirs et services initiaux envers l’économie ne figurent plus au centre des préoccupations de la finance. C’est un secteur privé qui tente de faire le plus d’argent possible avec ses produits financiers sans passer par l’économie réelle.

En raison de cette approche privée de l’économie, la finance a été privatisée dans la plupart des pays au cours des 30 dernières années. Les acteurs financiers ont pu menacer de délocaliser leurs activités dans des lieux dérégulés dès que des réglementations ont risqué de pénaliser leurs activités. Il s’agit en réalité d’un chantage à l’égard des gouvernements nationaux. Par crainte des réactions des agences de notations et des marchés financiers, personne n’ose faire le pas et exiger une politique responsable de réduction ordonnée de la dette grecque.  Le mot selon lequel l’argent domine le monde est plus vrai que jamais. Il ne s’adresse pas seulement aux actionnaires individuels mais à l’ensemble du système financier mondial.

Avec de telles contraintes, l’action des gouvernements pour gérer la crise économique ne peut être efficace. Le principe de causalité, accepté par tout le monde, n’est pas appliqué à la finance en raison de ce rapport de force. Le vieux dicton de la privatisation des bénéfices et de la socialisation des pertes est encore plus valable aujourd’hui qu’avant la crise.

Il n’en va pas autrement des mesures de soutien des banques „systémiques“. On pense à la reprise de titres „toxiques“ par les banques centrales, aux soi-disants „plans de sauvetage“ et aux programmes d'“assouplissement monétaire quantitatif“. En grande partie à cause de ces actions, la dette publique de nombreux Etats a fortement augmenté. C’est pourquoi la crise financière est devenue une crise internationale de la dette particulièrement difficile à juguler.

La politique internationale n’a pas traité le mal à la racine. On se contente de traiter les symptomes plutôt que de s’appuyer sur les principes. Il faut briser ce cercle infernal. Une constitution globale pour les marchés financiers est nécessaire et doit comprendre les points suivants:

(1) L’approvisionnement de l’économie en crédit et monnaie est un service public: Le marché financier n’est pas un marché habituel dans le sens où l’autonomie privée de chaque participant serait un bien supérieur, mais un espace public au sein duquel un devoir fondamental pour l’économie et la société est à accomplir. La mise à disposition d’argent et de crédit appartient aux conditions cadre fondamentales d’une économie efficace et doit être définie juridiquement et politiquement en tant que tâche de l’Etat.

(2) Le modèle de surveillance traditionnel – un concept de contrôle étatique au-dessus du marché- a échoué. Sous le paradigme du libre marché, le principe de la liberté économique des acteurs prévalait jusqu’ici. L’Etat n’a exercé qu’une surveillance policière pour découvrir et combattre les abus ou les actes répressibles. La gestion des problèmes n’était que réactive et corrective sans s’attaquer aux causes ou à la dynamique. Les risques financiers étaient acceptés dans ce modèle comme le prix de la liberté économique. Ils n’étaient qu’une occasion de durcir la surveillance et de renforcer les réglementations tant qu’ils ne freinaient pas les marchés financiers.

(3)  La nouvelle constitution des marchés financiers doit s’orienter sur le modèle de garantie. Si l’approvisionnement de l’économie en argent et crédit est un service public, il faut lui donner une fonction d’infrastructure publique, comme le système juridique, la formation, les transports et l’énergie. L’Etat peut alors définir les acteurs privés qui rempliront les tâches définies par l’Etat. Si les privés échouent dans l’accomplissement de leur mandat ou en dépassent les limites, l’Etat peut transférer ces tâches à des tiers. Une tâche de l’Etat n’est pas identique à une nationalisation! Ce qui est inclu comprend uniquement la responsabilité de l’Etat à offrir un service pour le bien commun. Le degré auquel l’Etat accomplit lui-même cette tâche dépendra des cas concrets. Il sera défini démocratiquement.

(4) Le système monétaire doit être réformé. Les Etats doivent sortir les banques de la création monétaire. Car aujourd’hui, la création monétaire provient essentiellement du crédit, à travers l’endettement des clients des banques. En raison des modestes exigences de fonds propres, les banques d’affaires peuvent se financer à bon marché et spéculer avec des volumes considérables sur les marchés financiers. Les banques centrales ont ainsi perdu le contrôle sur la croissance monétaire. A l’avenir, le papier-monnaie, comme les pièces et billets- sera le moyen de paiement officiel et ne devra être créé que par la banque centrale. Ainsi, on recréera le monopole légal sur la monnaie. La banque centrale émettra autant de monnaie que nécessaire pour le développement de l’économie. Aux banques ne restera que la distribution et l’administration de la monnaie: le trafic des paiements, l’octroi de crédits, les services financiers pour l’économie réelle et la gestion de fortune des privés.

L’argent doit être un serviteur de ce monde uniquement si l’on reconnaît à quel point il menace d’en être son esclave. L’argent ne libère que s’il est placé sous notre responsabilité démocratique.

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil de politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 27 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint : Prof. Dr. Beat Burgenmeier, économiste, Université de Genève; Prof. Dr. Jean-Daniel Delley, politologue, Université de Genève; Dr. Peter Hablützel, Hablützel Consulting, Berne; Dr. iur. Gret Haller, Université de Frankfort-sur-le-Main; Prof. emer. Dr. René Levy, sociologue, Université de Lausanne; Dr. oec. HSG Gudrun Sander, économiste, Université de St. Gall; Prof. Dr. Beat Sitter-Liver, philosophie pratique, jusqu’à 2006 Université de Fribourg (Suisse); Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. emer. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Prof. Theo Wehner, psychologue, ETH Zurich, centre pour les sciences de l'organisation et du travail, ETH Zurich; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle ; Liliana Winkelmann, M.A., Zurich.

1 Kommentar zum "L’argent gouverne le monde ou le sert"

  1. Yannick 4. Februar 2015 um 09:55 Uhr ·

    Une belle conclusion à laquelle j’adhère totalement. L’Homme n’a pas inventé l’argent pour en être esclave, il y a bien d’autres valeurs plus importantes que celle là.

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