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La politique doit s’adapter aux nouveaux parcours de vie

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Von Kontrapunkt* vom 25. März 2008

Pour être efficaces, les actions de l’Etat doivent tenir compte des conditions de vie réelles des personnes qu’elles visent. Les grandes institutions de la Suisse contemporaine (école, politique, droit, oeuvres sociales, armée) ont été façonnées à la fin du 19e et au début du 20e siècles. Depuis, les circonstances de la vie pratique dans notre pays ont changé à beaucoup d’égards et de manière accélérée, sans que le cadre institutionnel ait été systématiquement adapté. Voyons quelques-uns de ces changements.

  • La quasi-totalité des personnes parviennent aujourd’hui à un âge avancé. La durée de vie est considérablement plus longue qu’il y a cinquante ou cent ans.
  • Certaines transitions biographiques sont devenues plus problématiques et moins facilement planifiables qu’il y a quelques décennies, par exemple le début et la sortie volontaire ou involontaire de la vie professionnelle.
  • Presque autant de personnes forment des couples et des familles qu’auparavant. Par contre vivre en couple n’est plus un destin irrévocable. C’est désormais une relation que l’on mesure à l’aune d’exigences personnelles ; davantage de couples se défont, mais davantage se reforment également.
  • L’activité professionnelle des femmes est devenue une banalité ; toutefois, elle ne dispose pas encore de la même légitimité que celle des hommes (salaires, perspectives de formation continue et de promotion etc.).
  • De ce fait, les vies familiale et professionnelle sont plus incompatibles que naguère. D’où l’obligation faite aux femmes de privilégier l’une ou l’autre. Si les couples se forment plus tard dans la vie, si les enfants naissent plus tard et en nombre moins grand et si les carrières professionnelles demeurent largement masculines, c’est plus sous la contrainte des conditions de vie que par choix personnel.
  • Les trajectoires de vie se sont diversifiées, le déroulement des étapes est devenu moins contraignant et il y a davantage de « retours » : par exemple une phase de formation à l’âge adulte, un remariage et une nouvelle parentalité. Des étapes ou séquences hors normes se multiplient (précarité professionnelle chronique, parents éduquant seuls leurs enfants, surtout des mères, ou – rare en Suisse – la maternité d’adolescentes).

Face à ces réalités qui vont se diversifiant, le modèle qui sous-tend bon nombre de régulations institutionnelles reste le même : la formation, la vie active et la retraite constituent des phases clairement séparées et successives ; les personnes, surtout les enfants, vivent en famille dans lesquelles une personne adulte est disponible pour les besoins de l’éducation et du ménage et ne peut de ce fait s’engager pleinement dans une activité professionnelle ; la famille dispose d’une pouvoir d’achat suffisant pour subsister dans une société marchande ; l’activité professionnelle des salariés est régie par un rapport de travail normal, c’est à dire à plein temps, à horaire fixe et sans durée limitée. Les personnes qui, par choix ou par contrainte, vivent en dehors de ce modèle standard – par exemple des parents qui, pour partager la responsabilité de l’éducation de leurs enfants réduisent leur temps de travail, des mères seules, des adultes à faible revenu qui souhaitent faire des études, des personnes aux qualifications peu valorisées par le marché – sont « punies » dans la mesure où elles rencontrent passablement plus de difficultés à participer au fonctionnement ordinaire des institutions de la société (exemple : faire les achats pour une mère seule travaillant à plein temps). Les « déviants » du modèle standard sont durement mis à l’épreuve par ce moule institutionnel unique du fait que leur situation ne correspond pas à l’image de normalité qui sous-tend le fonctionnement ordinaire des dites institutions.

Ainsi, les présupposés qui sous-tendent les institutions et la réalité vécue au quotidien ne se recouvrent souvent pas. Pour opérer un nécessaire rapprochement, il faut adopter une perspective élargie de la vie quotidienne qui n’est pas statique, mais qui intègre la diversité des parcours et situations de vie contemporains. A chaque étape de leur vie, les adultes participent à une multitude de champs d’activité interdépendants. Et les interférences entre ces champs engendrent de nombreux problèmes pratiques qui ne peuvent trouver des solutions que par des approches « intersectorielles ».

Une telle perspective nécessite bon nombre de modifications que les exemples suivants peuvent illustrer.

  •  Les interruptions professionnelles qui se multiplient pour diverses raisons (tâches parentales, licenciement, retour à la formation) ne doivent plus pénaliser la personne par des réductions de rente (AVS, pensions) – il doit devenir possible d’acquérir le droit normal sur une durée étendue de la vie.
  • Quand le taux de natalité baisse notamment à cause de l’incompatibilité entre engagement professionnel et familial (le taux suisse est particulièrement bas en comparaison européenne), le profil du travail à temps partiel (droit du travail, assurances sociales, possibilités de promotion et de formation complémentaire) doit être modifié de manière à le rendre également attractif pour les deux sexes, et ce en parallèle à une série d’autres changements institutionnels comme la généralisation de crèches, de jardins d’enfants et d’écoles pouvant prendre les enfants en charge toute la journée, des heures d’ouverture plus flexibles des magasins et des services publics.
  •  En raison de l’allongement de la durée de vie, les « enfants » bénéficient de l’héritage de leurs parents quand ils parviennent à l’âge de la retraite, donc à la fin de leur vie professionnelle. Dès lors la justification de l’allégement voire de la suppression de l’impôt sur les successions devient caduc. Cet allégement ne contribue pas tant à faciliter le démarrage économique d’une nouvelle génération qu’à l’accumulation de la richesse.
  • Les droits des personnes doivent être adaptés au phénomène de la recomposition familiale et de la complexité des relations sociales qui en découlent. .

Une politique réaliste qui vise l’efficacité se doit de prendre en compte les parcours de vie dans leur diversité. Cette prise en compte n’est pas synonyme de flexibilisation généralisée, ni simplement de « flexicurité ». Car la revendication de flexibilité ne répond trop souvent qu’aux exigences du marché du travail et non aux besoins nouveaux de la population. Les connaissances scientifiques et pratiques concernant les diverses situations à problèmes actuelles doivent être systématiquement mises à contribution dans le but d’éliminer ou au moins d’assouplir les contraintes inutiles qu’engendre une politique fondée sur un modèle social dépassé.

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil de politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 26 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint : Prof. Gabrielle Antille Gaillard, économètre, Université de Genève; Prof. Klaus Armingeon, politologue, Université de Berne; Prof. Dr. Beat Burgenmeier, Université de Genève; Prof. Dr. Jean-Daniel Delley, politologue, Université de Genève; Dr. Peter Hablützel, Hablützel Consulting, Berne; Dr. iur. Gret Haller, Université de Frankfort-sur-le-Main; Prof. Hanspeter Kriesi, politologue, Université de Zurich; Prof. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Prof. Hans-Balz Peter, spécialiste en socio-éthique et socio-économie, Université de Berne; Prof. emer. Dr. Peter Tschopp, économiste, Université de Genève; Prof. Peter Ulrich, spécialiste en éco-éthique, Université de St. Gall; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle; Prof. emer. Hans Würgler, économiste, ETH Zurich.

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