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La démocratie de concordance ne se limite pas à l’utilisation de la règle de trois lors de l’élection du Conseil fédéral

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Von Kontrapunkt* vom 26. Februar 2008

Lors de l’élection du Conseil fédéral en décembre dernier, tous les partis gouvernementaux ont appelé au respect de la concordance. Ainsi les artisans de l’éviction de Christoph Blocher se sont bien gardé de contester les deux sièges de l’UDC. Cette dernière a tenté de sauver son leader en annonçant qu’elle apporterait ses voix aux magistrats sortants, pour autant que les autres formations lui renvoient l’ascenseur. Et le chef de file de l’UDC l’a récemment répété dans son discours de l’Albisgüetli : sa non-réélection constitue une violation flagrante de la concordance.

Mais cette belle unanimité se réfère à une caricature de la concordance. Ce principe, central pour le fonctionnement des institutions helvétiques, ne se résume pas à la distribution proportionnelle des places au sein de l’exécutif et à la confirmation par le Parlement des candidats présentés par les partis. La concordance, c’est autre chose qu’une simple règle de trois.

La concordance n’a rien d’une théorie de l’exercice du pouvoir. Elle résulte d’une expérience pratique qui a progressivement conduit les acteurs politiques à collaborer de manière à rendre viable les institutions. La concordance n’est pas née avec la fameuse formule magique en 1959, qui a vu les quatre principaux partis se partager la responsabilité gouvernementale. Elle prend sa source à la fin du 19ème siècle quand le droit de référendum met en évidence la possibilité offerte aux partis minoritaires de contrecarrer le pouvoir radical alors hégémonique. Mais auparavant déjà la structure fédérale avait montré les limites du pouvoir central et la nécessité de proposer des lois susceptibles d’obtenir des majorités larges. La pratique de la consultation préalable des « milieux intéressés » débute à cette époque déjà, même si elle est prescrite par la Constitution depuis 1947 seulement, puis systématisée dans les faits ensuite. L’introduction du scrutin proportionnel en 1919 permet une meilleure traduction des rapports de forces politiques au Parlement et impose une collaboration accrue entre les partis. En effet, aucun d’entre eux ne peut dorénavant imposer ses vues.

Les partis sont cooptés au sein de l’exécutif lorsqu’ils ont prouvé leur capacité de nuisance : ils doivent préalablement démontrer, comme les conservateurs après 1874, qu’ils sont à même de mettre en péril les projets du Parlement par le biais du référendum populaire. Ou alors leur présence à l’exécutif relève d’une exigence d’union nationale imposée par la conjoncture internationale, comme l’illustre l’entrée des socialistes au Conseil fédéral en 1943. Mais les nouveaux venus doivent également payer un prix pour le statut gouvernemental qui leur est reconnu. Ainsi les conservateurs-catholiques, les vaincus de la guerre du Sonderbund, sont associés à l’exécutif en 1891 quand ils ont reconnu la légitimité de l’Etat fédéral ; les socialistes, après avoir renoncé à la lutte des classes et admis la nécessité de la défense nationale.

La nécessité de nouer des alliances, de faire des compromis n’exclut pas la confrontation des points de vue. Au contraire, une bonne négociation exige cette confrontation. Mais, contrairement à la démocratie de concurrence qui permet à la majorité d’imposer sa loi à l’opposition, la démocratie de concordance exige de chaque partenaire qu’il sache tout à la fois modérer ses exigences et admettre en partie celles de ses adversaires. La concordance ne conduit pas pour autant de manière mécanique à un unanimisme mou et à des compromis insipides, comme le prétendent ses détracteurs. Elle permet à des majorités changeantes de se nouer au gré des dossiers et à des oppositions ponctuelles de s’exprimer par le biais du référendum et de l’initiative : le Parlement n’est pas lié aux projets du Conseil fédéral, pas plus que le peuple ne l’est à ceux du législateur. Mais la concordance ne peut survivre que si l’un ou l’autre des partenaires n’est pas systématiquement minorisé. C’est pourquoi elle vit de la négociation, de la coopération des élites, du respect des minorités. Elle exclut le coup de force, la marginalisation de l’autre et privilégie le travail collaboratif, non seulement au sein du Conseil fédéral mais également au Parlement. La présence des principaux partis à l’exécutif n’est que la conséquence de ce mode de faire.

A l’évidence l’UDC ne répond pas à ces exigences. Le mépris qu’elle porte à ses adversaires et aux institutions, sa prétention à exprimer elle seule la volonté populaire sont en contradiction avec la volonté de coopération, la fiabilité et la capacité d’apprentissage qui sous-tendent le principe de concordance. C’est bien le message qu’a voulu faire passer la majorité de l’Assemblée fédérale en élisant deux magistrats démocrates du centre qui respectent les exigences de la concordance : nous reconnaissons votre droit à participer au gouvernement, mais à ces conditions.

Ces dernières années, le principe de concordance a subi les attaques en règle d’une partie de l’intelligentsia et des milieux économiques. Ce mode de gouvernement serait inadapté au monde moderne, à la nécessité de réagir rapidement aux changements de l’environnement socio-économique. Il priverait le souverain de choix clairs, tels que les proposent les démocraties parlementaires qui connaissent l’alternance. Cette analyse relève d’une rationalité abstraite ou d’une confusion entre les règles de fonctionnement de l’économie et de la sphère publique. L’observation attentive des régimes basés sur la concurrence montre que les majorités au pouvoir tendent à prendre en compte les desiderata de l’opposition et de l’opinion publique. Car la résolution des problèmes auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines exige une adhésion plus large que ne l’autorise la seule majorité conquise aux élections : en témoignent notamment la constitution de grandes coalitions et l’organisation de tables rondes avec les partenaires sociaux dans les démocraties parlementaires qui nous entourent. Le principe de concordance, loin de représenter un mode de gouvernement archaïque, se révèle d’une saisissante modernité. Raison de plus pour en préserver le sens et ne pas la laisser dériver vers une simple opération arithmétique qui permettrait à ses ennemis de la miner de l’intérieur. Par ailleurs il est paradoxal que l’UDC, un parti qui se prétend le seul véritable défenseur des valeurs helvétiques, tente d’imposer une culture politique radicalement étrangère à la concordance, une pratique imposée par la diversité culturelle et partisane du pays.

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil de politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 30 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint : Prof. Klaus Armingeon, politologue, Université de Berne; Prof. Gabrielle Antille Gaillard, économètre, Université de Genève; Prof. Dr. Beat Burgenmeier, Université de Genève; Dr. iur. Gret Haller, Université de Frankfort-sur-le-Main; Prof. Hanspeter Kriesi, politologue, Université de Zurich; Prof. emer. Dr. René Levy, sociologue, Université de Lausanne; Prof. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Prof. Hans-Balz Peter, spécialiste en socio-éthique et socio-économie, Université de Berne; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle; Prof. emer. Hans Würgler, économiste, ETH Zurich. www.rat-kontrapunkt.ch

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