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L’accueil extrafamilial des enfants- une tâche de coordination pour la Confédération

Autorinnen/Autoren: und
Von Kontrapunkt* vom 20. Oktober 2006

Si aujourd’hui le thème du «vieillissement de la société suisse» est devenu un sujet important du débat politique, on affirme en vérité qu’il n’y a pas assez d’enfants. Aujourd’hui, le taux de fécondité moyen d’une femme en Suisse atteint 1.4 enfants; un taux de 2.1 serait nécessaire pour que la structure démographique reste stable. La transformation de notre société est peut-être la conséquence la plus grave de la diminution du taux de fécondité, car les enfants sont aussi une composante essentielle de notre société et une source majeure de vie émotionnelle et sociale. Nos enfants nous démontrent de manière très pertinente les limites de la recherche individuelle du bonheur et notre responsabilité envers autrui. Néanmoins, les graves problèmes auxquels il faut s’attendre dans le cadre du développement économique ainsi que du financement des institutions sociales, bénéficient de plus d’attention dans le débat public.

Une chute du taux de natalité est maintes fois apparue dans l’Histoire, ce n’est pas un problème récent mais, dans les cas précédents, le phénomène avait des causes différentes. Si autrefois c’étaient surtout les crises sociales et économiques qui rendaient les hommes et les femmes récalcitrants face à une progéniture nombreuse, c’est aujourd’hui avant tout l’incompatibilité entre profession et famille qui a un effet négatif sur le taux de natalité. Mais cela est un phénomène de société facilement influençable par des mesures collectives dans la société. Voilà notre sujet: nous visons des mesures réalisables.

Commençons par deux exemples réalistes:

  1. Karin, âgée de 34 ans, a fait des études d’économie, suivies d’une formation en management et occupe aujourd’hui une position de cadre dans une entreprise moyenne. Son mari Richard, 38 ans, vient de faire son entrée dans un cabinet d’avocats en tant que partenaire. Economiquement ils vont bien. Leur fils a maintenant 3 ans. Karin et Richard souhaiteraient avoir plus d’enfants, autrefois Karin disait toujours «au moins trois». Mais il est évident que des enfants en plus la désavantageraient dans sa carrière professionnelle, dans laquelle elle a investi une longue formation et beaucoup de travail; par ailleurs elle adore son travail et n’arriverait pas à s’imaginer une vie de femme au foyer et de mère «seulement». De plus, la situation chez Richard est semblable; il aime bien s’engager dans la famille, mais une répartition de travail à parts égales ne lui paraît pas imaginable.
  2. La situation est toute différente pour Jacqueline (30 ans, exerçant dans les soins) et Manfred (33 ans, musicien). Après de longues réflexions ils ont pris la décision d’avoir deux enfants, un troisième ne serait pas exclu: rendu possible par le fait que les deux ne travaillent qu’à temps partiel, qu’ils se partagent le travail familial et domestique. Le travail à temps partiel est courant dans les métiers de santé et l’activité de Manfred en tant que musicien indépendant lui permet une certaine flexibilité. Par contre, leurs moyens financiers sont plus limités; grâce au soutien des parents entre autres, la famille possède tout le nécessaire pour vivre, mais financer une place à la crèche, par exemple, serait impossible.

Au fil des (lentes) avancées vers une plus grande égalité,, les femmes ont obtenu ces dernières décennies une formation toujours plus perfectionnée et de meilleures chances professionnelles; pourtant, si elles veulent véritablement en profiter,elles ne peuvent que difficilement se permettre une famille nombreuse. L’activité et l’affirmation de soi dans notre système économique exigent, comme chez les hommes aussi, des restrictions au travail familial. S’y ajoute la pression professionnelle croissante. Bien que beaucoup de femmes souhaitent avoir plus d’enfants (des études scientifiques le prouvent), dans ce conflit entre famille et profession, souvent, elles renoncent à leurs aspirations en terme de nombre d’enfants.,  Cela, d’autant plus que leur formation et leurs chances professionnelles sont bonnes. L’on pourrait presque dire: l’éducation est le meilleur moyen contraceptif. Des analyses portant sur l’évolution du taux de naissances dans les dernières décennies, sur les divergences entre les différents pays de l’OCDE, entre ville et campagne, et même entre différents cantons suisses, confirment ces liens.

Outre le désir de réalisation de soi par le travail existent bien sûr encore d’autres facteurs portant leurs effets. Ainsi, selon les conditions, le «Rapport sur les familles 2004» du Département fédéral de l’Intérieur estime les coûts par enfant à un demi voire un million de francs jusqu’à son 20ème anniversaire ; ils jouent un rôle important au moment de la décision d’avoir des enfants. De plus, ce sont les valeurs traditionnelles en particulier, marquées par la religion ou des conditions de vie ordinaires (à l’exemple des zones essentiellement agricoles) qui conduisent à la décision d’avoir de nombreux enfants.

Un dernier mot au sujet des hommes: aussi désirable une plus grande participation au travail familial soit-elle, pour diverses raisons elle sera limitée par les mêmes motifs que chez les femmes. Dans le contexte économique et social actuel, l’évolution ne se fera que très lentement. La transformation des valeurs patriarcales tombées en désuétude depuis longtemps, durera encore. De nos jours il est illusoire de vouloir résoudre le problème du taux de natalité décroissant avant tout par une plus forte implication des hommes. Egalement, la critique, en principe justifiée, des conditions cadre de l’économie de marché capitaliste contribuant à la baisse de la natalité, semble peu apte à fournir, dans l’avenir proche, une solution au problème.

Les liens décrits ci-dessus contiennent au fond un message réjouissant: ils laissent présumer que beaucoup de femmes poursuivront leur désir inné d’avoir des enfants. Ceci à condition que les circonstances permettent simultanément de poursuivre des buts professionnels. Un tel état de faits se réalise par des mesures de politique sociale. L’impact de telles mesures se perçoit en comparaison avec d’autres pays. L’extension des structures d’accueil comme éléments intégraux du système d’éducation, recouvrant l’intégralité du territoire et gratuite pour les parents, serait idéale. Celles-ci remplaceraient la garde familiale autant à l’âge pré-scolaire que scolaire. L’institution de crèches et d’écoles de jour publiquement financées est appropriée pour renverser la tendance des taux de natalité; l’exemple fréquemment cité des pays scandinaves le démontre. Par ailleurs, ces institutions devraient travailler selon des concepts pédagogiques bien élaborés. Elles peuvent en même temps contribuer à la résolution d’autres problèmes: En Suisse, l’origine sociale joue un rôle beaucoup plus important pour la participation au système d’éducation tertiaire que dans beaucoup d’autres pays hyperdéveloppés. Des écoles de jour peuvent aider à compenser des déficits d’éducation du foyer parental, promouvoir des enfants doués issus de couches sociales défavorisées et ainsi mener à une meilleure exploitation des réserves de talents de notre pays. Et la discrimination professionnelle des femmes, toujours existante, pourrait être plus facilement combattue.

Résumons une dernière fois les avantages d’un tel système:

  • Les femmes pourraient mieux coordonner activité professionnelle et désir de progéniture
  • L’égalité homme-femme dans la sphère professionnelle serait promue
  • On pourrait s’attendre à une reprise du taux de natalité avec les conséquences culturelles, sociales et économiques que cela comporte
  • Le tout dans la liberté de décision des parents sans influence idéologique ni pression morale
  • Des parents au système de valeurs traditionnel pourraient plus facilement avoir plus d’enfants
  • Les enfants issus de couches sociales défavorisées obtiendraient de meilleures chances dans le système éducatif.

Les inconvénients étant surtout: des coûts très élevés. Et pourtant: si la Suisse n’entreprend rien en cette matière, cela lui reviendra encore plus cher à long terme. L’intégration d’immigrants par exemple pourrait coûter bien davantage. L’idée des réformes gratuites est de toute façon une illusion, comme le démontrent aussi les restructurations en économie.

Ces idées sont loin d’être nouvelles, elles sont discutées et en partie réalisées dans beaucoup de cantons et de communes. Néanmoins il est prévisible que notre système politique fédéral va produire un large spectre de solutions et beaucoup de lacunes dans ce domaine aussi.

Il serait naïf de croire qu’une garde générale, gratuite et recouvrant l’intégralité territoriale, telle que nous la proposons, sera bientôt réalisée. La Suisse fédéraliste attribue la responsabilité pour le système éducatif d’abord aux cantons. Une première tâche consiste à persuader les cantons à introduire les mesures revendiquées ci-dessus. Simultanément les obstacles de la démocratie directe devraient aussi être surmontés. Lors du plus récent débat portant sur le programme incitatif pour crèches enfantines, quelques-uns des pourvois évidents ont déjà été portés devant le public (NZZ du 08.06.2006). «Les crèches enfantines ne sont pas une affaire de l’Etat». Mais à qui revient la tâche de la politique démographique si ce n’est à l’Etat ? Ce n’est qu’à partir de 1830 environ que le système scolaire est devenu une affaire de l’Etat- les tâches étatiques changent. «L’éducation des enfants est la tâche de la famille». Certes, mais à quoi bon cette revendication s’il y a de moins en moins d’enfants ? L’émancipation des femmes, loin d’être parfaite dans la réalité sociale, figure parmi un des grands acquis sociaux des dernières décennies, elle ne doit (et ne peut) pas être rendue réversible; par conséquent de nouvelles solutions doivent être trouvées. «Les communes sont concernées avant tout». Probablement le problème fera donc d’abord la navette dans l’espace politique. «Si une demande sérieuse existe, une offre se formera également. Cela serait également le cas des crèches enfantines si l’Etat n’érigeait pas des obstacles exagérément élevés». Mais le maintien de la qualité joue un rôle très important en matière de garde d’enfants. Finalement, une solution «à l’économie de marché» et de bonne qualité, offerte par des privés, ne peut profiter qu’aux aisés dans un pays à revenus élevés (l’exemple des Etats-Unis le démontre amplement).

Un travail de persuasion au niveau cantonal et communal est donc nécessaire. Par ailleurs, l’on devrait maintenant déjà essayer de coordonner la multitude des mesures décidées ou mises en route à ces niveaux-là, afin d’obtenir une unité et une comparabilité maximales. La Confédération, grâce à sa compétence nouvellement acquise par l’article portant sur l’éducation, est censée fournir une aide dans cette direction.

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
Kontrapunkt, le «Conseil suisse de politique économique et sociale», composé de 25 membres actuellement, a vu le jour sur initiative du «réseau pour une économie socialement responsable». Le groupe a pour intention d’approfondir, par le biais de contributions scientifiquement fondées et interdisciplinairement élaborées, le débat public souvent insatisfaisant et polarisant portant sur des sujets scientifiques. Par-là, kontrapunkt souhaite révéler des aspects négligés et fournir une contribution à l’objectivation du débat. Les membres suivants de kontrapunkt ont signé ce texte: Prof. Dr. Klaus Armingeon, Politologue, Université de Berne ; Prof. Dr. Jean-Daniel Delley, Politologue, Université de Genève ; Prof. Dr. René Levy, Sociologue, Université de Lausanne; Prof. Dr. Hans-Balz Peter, moraliste social et économiste social, Université de Berne; Prof. Dr. Peter Tschopp, économiste, Université de Genève; Prof. Dr. Peter Ulrich, moraliste économique, Université de St.Gall; Prof. Dr. Karl Weber, Sociologue, Université de Berne; Daniel Wiener, Manager culturel MAS, Bâle; Prof.em.Dr. Hans Würgler, économiste, Ecole polytechnique fédérale Zurich.

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