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Rétablir la confiance dans la prévoyance professionnelle

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Von Kontrapunkt* vom 20. November 2006

La prévoyance professionnelle, obligatoire depuis 1985, a connu une enfance sans histoire. Elle s’est développée de manière réjouissante. Les rentes versées, ajoutées à celles de l’AVS, garantissent un revenu décent à un nombre croissant de retraités.

Les choses se gâtent au début de ce siècle. La crise boursière provoque des pertes importantes pour les institutions de prévoyance. Les assurés, et parfois même les rentiers, sont contraints de participer aux mesures d’assainissement. Le Conseil fédéral procède alors à une baisse du taux minimum de rémunération des avoirs des assurés pour tenir compte des conditions du marché. Simultanément il réduit le taux de conversion – un multiplicateur qui détermine le montant de la rente auquel donne droit le capital accumulé –, pour répondre à l’allongement de l’espérance de vie.

Du coup les assurés s’interrogent : avons-nous pleinement bénéficié des gains boursiers des années 80 et 90 ? Ou une partie de la plus-value a-t-elle passé dans les poches des banques et des assurances ? On évoque alors un « hold-up » sur les rentes et l’on craint que le gouvernement ne prête une oreille plus attentive aux revendications des caisses de pension et des sociétés d’assurance qu’aux intérêts des cotisants et des rentiers.

Des experts se joignent au chœur des critiques. Les autorités réagiraient de manière précipitée à l’évolution boursière et selon des critères tout sauf transparents, alors que la prévoyance professionnelle vise à l’obtention d’un rendement optimal sur le long terme. Le professeur Janssen met en cause la gestion défaillante des caisses, trop nombreuses et de dimensions trop restreintes pour réaliser une politique de placement professionnelle. Il estime qu’une meilleure gestion permettrait d’améliorer le rendement des placements de 1 à 2%, soit d’augmenter le montant des rentes de 15%, sans aucune prise de risque supplémentaire. Et voilà qu’à l’occasion d’une fusion bancaire, la justice ouvre une enquête contre plusieurs gérants de caisses de pension, soupçonnés d’avoir fait perdre beaucoup d’argent aux assurés, tout en encaissant de juteux bénéfices. Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume de la prévoyance professionnelle ?

Les inconditionnels du marché et de la libre concurrence ont trouvé la solution : la libéralisation du deuxième pilier. Le fameux « Livre blanc », publié en 1995, y faisait allusion et « Avenir Suisse », la boîte à idées de l’économie, milite pour ce modèle. Il revient à chaque salarié de choisir son institution de prévoyance, le montant de son épargne et le niveau de risque qu’il est prêt à assumer en vue de sa retraite. La proposition ne manque pas d’attrait. La concurrence entre les caisses de pensions devrait générer des rendements plus élevés et les assurés pourraient choisir entre plusieurs types de placement, par exemple en fonction de leurs préférences éthiques ou plus prosaïquement financières.

Le Conseil fédéral s’est prononcé récemment contre le libre choix. La complexité du passage de l’assurance collective actuelle à un système individuel, tout comme l’opposition farouche des caisses de pension, fait douter de la faisabilité technique et politique d’une telle révolution. Mais surtout la libéralisation de la prévoyance professionnelle transférerait les risques de la capitalisation, aujourd’hui assumés collectivement, aux assurés individuels.

La confiance dans le deuxième pilier a été sérieusement ébranlée par les péripéties de ces dernières années – crise des marchés boursiers, stratégies opaques des sociétés d’assurance, gestion peu efficace de certaines caisses, réactions précipitées des autorités politiques notamment -. Dès lors des réformes s’imposent pour rétablir la confiance des assurés et garantir la qualité de la gestion de leurs avoirs :

  • Les taux d’intérêt et de conversion doivent cesser de faire l’objet de marchandages politiques. Il faut donc ancrer dans la loi des critères objectifs qui déterminent de manière automatique l’évolution de ces taux.
  • Les caisses sont beaucoup trop nombreuses. Nombre d’entre elles n’atteignent pas la taille critique permettant une gestion directe efficace ou un contrôle sérieux des instituts financiers à qui elles confient leurs avoirs. La loi doit fortement inciter au regroupement dans des fondations de prévoyance de branche ou interprofessionnelles, ce qui conduirait à une réduction des coûts et des risques, tout en facilitant la gestion paritaire des fonds.
  • La législation en la matière a pris une telle ampleur et fourmille de tant de détails que seuls quelques spécialistes en maîtrisent toutes les subtilités. Il faut en finir avec ce perfectionnisme normatif qui n’assure pas pour autant un contrôle efficace de la gestion des caisses. Cette tâche doit être confiée à une autorité de surveillance indépendante, sur le modèle de la Commission fédérale des banques, chargée de contrôler le respect de la loi, en particulier des objectifs visés par le deuxième pilier, et d’en sanctionner les violations.
* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil suisse pour la politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 25 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint: Prof. Klaus Armingeon, politologue, Université de Berne; Prof. Hanspeter Kriesi, politologue, Université de Zurich; Prof. Dr. René Levy, sociologue, Université de Lausanne; Prof. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Prof. Hans-Balz Peter, spécialiste en socio-éthique et socio-économie, Université de Berne; Prof. Peter Ulrich, spécialiste en étique de l’économie, Université de St. Gall; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle; Prof. emer. Hans Würgler, économiste, ETH Zurich.

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