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La Banque nationale suisse et ses mythes

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La décision inopinée qu’a prise au début de cette année  la Banque nationale suisse (BNS) a surpris tout le monde. Pour déjouer les activités spéculatives, elle a dû agir rapidement. Son argumentation était confuse et pouvait manifestement compter sur le soutien de la majorité parlementaire. Dix mois plus tard, ce soutien lui semble acquis sans qu’ait eu lieu un débat public argumenté sur sa décision d’abandonner le taux plancher de l’Euro par rapport au Franc suisse. C’est que les mythes sur lesquels repose son action ont pleinement joué leur rôle.

  • Tout d’abord, celui qui perpétue la séparation stricte entre économie monétaire et économie réelle. La politique monétaire n’aurait pas d’effets réels et l’inflation ne serait qu’un phénomène purement monétaire. Cette affirmation est évidemment doctrinaire, car elle se réfère pour l’essentiel au monétarisme qui est utilisé pour justifier une politique monétaire restrictive entièrement axée sur la lutte contre l’inflation. Or, une intervention sur le marché des changes luttant contre la cherté du franc suisse, nécessite une expansion monétaire. Le conflit est préprogrammé : La stabilité du taux de change serait  incompatible avec celle du niveau général des prix. Or, la croissance vertigineuse des marchés financiers durant ces dernières décennies témoignant de l’interdépendance croissante de tous les marchés, exige une approche moins doctrinaire et une reformulation de la politique monétaire actuelle.
  • Le deuxième mythe associe une politique monétaire expansive à une dette croissante du pays, ce qui justifierait une conduite restrictive. Il exprime une vue comptable étroite en parfaite concordance avec l’orthodoxie monétariste. Or, une politique monétaire moderne tient compte de plusieurs paramètres, notamment de la croissance économique, de l’emploi et du contexte international sans cesse changeant.
  • Le troisième mythe est celui du fondement scientifique de l’action de la BNS. Même si, elle  a généralement fait preuve de beaucoup de pragmatisme dans la mise en pratique de la doctrine monétariste, elle continue à s’en inspirer. Or, la Banque des règlements internationaux (BRI), dans son rapport annuel de 2015, dit clairement  que la crise financière de 2008 a bousculé bien des certitudes quant au fonctionnement des marchés monétaire et financier, et que cette crise devrait être l’occasion de se tourner vers de nouvelles approches, explorant les nouveaux comportements et pratiques financiers. Pour faire face à la domination de la finance, la politique monétaire doit être repensée.
  • Le quatrième mythe affirme l’indépendance de la BNS par rapport au monde politique. L’autonomie des Banques centrales se justifie comme  un statut empêchant les gouvernements de se servir  de la planche à billets pour financer les dépenses publiques. Or le pouvoir des autorités monétaires, notamment de la Banque centrale européenne, n’a  fait que  s’accroître durant la crise financière récente, bien au delà de cette justification initiale. Cette politisation croissante a également atteint la BNS : Sa décision a un aspect antieuropéen. Elle mérite à elle seule un débat politique approfondi quant aux relations de la Suisse avec l’Union européenne. Ce débat  ne peut, bien sûr, être tranché par la BNS. Il engage le pays tout entier.
  • Le cinquième mythe veut que  l’indépendance et la neutralité politique de la BNS se confondent avec celles du pays tout entier. Or, la formation du taux de change est tellement tributaire des mouvement de capitaux internationaux, que la marge de manœuvre de la BNS est de plus en plus restreinte. Les taux de change sont très sensibles au déséquilibre, parmi les plus préoccupants, entre flux réels et flux financiers. Seule une coopération monétaire internationale renforcée peut tenter de corriger ce déséquilibre.
  • Enfin, le sixième mythe fait croire que la BNS n’avait pas d’autres options et que sa  décision était la seule qui soit raisonnable.  C’est la foi qui est demandée : le coût actuel de cette décision préparerait un avenir économique radieux. La compétitivité serait renforcée et le danger inflationniste banni pour longtemps. Or, plusieurs options existent, notamment le maintien d’un taux plancher, la création d’un fonds souverain ou encore l’adhésion à la zone euro. L’absence prétendue d’options est un aveu d’impuissance face au fonctionnement réel du marché des changes dominé par quelques puissants acteurs comme les hedge fonds.

Réformes proposées

En agissant en contre-courant par rapport aux ténors de la politique monétaire internationale, la BNS contribue au renchérissement du franc suisse.  Son action entraîne abruptement  un coût d’ajustement considérable, freine aussi bien l’évaluation boursière que  la croissance réelle. Dans un contexte international de plus en plus interdépendant, le maintien des mythes peut mettre en péril la prospérité du pays.

Or, ce n’est pas seulement à la BNS, mais à l’ensemble de nos mécanismes démocratiques à proposer des réformes :

 

  • Nouvelle orientation stratégique

Le législateur a formulé la mission principale de la BNS en terme de stabilité du niveau général des prix, tout en prenant soin de préciser que la politique monétaire doit également tenir compte de la situation économique en général. La BNS ne peut donc se contenter de justifier sa politique par la seule  lutte contre l’inflation. Elle doit interpréter son rôle d’une manière moins simpliste en tenant notamment mieux compte aussi bien du rôle dominant de la finance que des conséquences de ses décisions sur l’économie réelle.

 

  • Gouvernance améliorée

Le directoire de la BNS doit être composé d’une manière pluraliste et représenter l’ensemble de l’économie. Seul un collectif formé de plusieurs courants de pensée peut éviter des dérives doctrinaires. Sa composition actuelle avec seulement trois membres est un anachronisme et ne correspond pas aux standards internationaux.

 

  • Création d’un fonds souverain

Cette option doit faire l’objet d’un examen approfondi et ses avantages et inconvénients doivent être soigneusement évalués. Le maintien dans les livres de la BNS de fonds propres de plusieurs centaines de milliards sans rémunération est un non sens économique.

 

  • Financement des pouvoirs publics repensé

La contribution de la BNS au financement de la Confédération et des cantons doit être mieux régulée pour qu’elle soit plus strictement déconnectée de la politique monétaire. Seuls les intérêts et dividendes sur des placements étrangers devraient entrer en ligne de compte et non pas des gains comptables réalisés sur les actifs du bilan soumis à des fluctuations rapides.

Enfin, le recours à des mythes au lieu des réformes, contourne le débat sur le véritable enjeu : La mondialisation exige non pas une approche nationale  de la politique monétaire, mais une coopération internationale renforcée.

Individuelle Texte sind nicht durch das Diskursverfahren von kontrapunkt gelaufen.

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