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De la nécessité d’améliorer l’accueil extrafamilial des enfants

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Von Kontrapunkt* vom 18. Mai 2007

Une alliance autourd’objectifs contradictoires

En Suisse, les femmes désirent 2,4 enfants en moyenne. Pourtant, le taux de fécondité se situe à 1,4 enfant par femme. La raison principale de cette différence provient du conflit entre famille et travail.

Quelles sont les causes de ce conflit? Il découle de la rencontre entre les deux grands axes qui marquent l’évolution de la vie contemporaine: la modernisation sociale d’une part, et le développement de l’économie de marché, d’autre part. Au niveau social, cette modernisation se traduit par l’individualisation.

Durant leurs deux premières années de vie, les enfants dépendent, pour le développement de leur aptitude à créer des liens, de la présence constante de personnes de référence. Durant cette période, la famille est irremplaçable. Mais après, il est nécessaire de disposer d’institutions sociales qui accueillent les enfants pour le cas où les familles ne sont plus en mesure de le faire.

Si cette modernisation sociale se poursuit, la société et l’Etat devront soutenir les familles dans leur mission éducatrice. Le développement économique accompagne la libéralisation sociale et l’égalité des sexes. Plus la logique de l’économie de marché envahira toutes les sphères de la société, plus cette dernière devra fonctionner selon le principe de l’échange de prestations.  Ainsi, l’évolution économique et sociale a-t-elle pour conséquence que l’accueil des enfants en âge préscolaire et scolaire n’est plus l’unique affaire des parents, mais une responsabilité d’ordre public.

Quels sont les objectifs de la prise en charge des enfants hors du cadre familial?

Il semble normal que le débat public mette en avant une multiplicité d’objectifs divers qui se combinent avec des exigences stratégiques. L’exigence de l’égalité entre hommes et femmes est fondamentalement justifiée. Cependant, la question de la protection du droit des enfants reste centrale. Des enfants accueillis dans de mauvaises conditions souffrent. Ils ont droit à une éducation optimale. Mais il existe encore de nombreuses exigences de nature stratégique. Stratégiques en ce sens qu’elles utilisent les besoins des femmes et des enfants pour réaliser d’autres buts: augmentation du taux de natalité; ou participation accrue des femmes sur le marché du travail. L’interaction de ces différents intérêts constitue une menace pour l’enfant dans la mesure où elle pourrait bien le transformer en cible de stratégies contradictoires.

L’analyse de ce contexte débouche sur plusieurs constats paradoxaux:

  • le premier axe d’évolution esquissé est l’émancipation de l’individu. Là, le paradoxe réside dans le risque que cette individualisation de l’adulte conduise à une « collectivisation » de sa progéniture. L’individualisme se traduit par un affaiblissement de la capacité de la famille à assumer ses responsabilités en tant qu’unité sociale. Il transfert ainsi à la collectivité la mission d’éducation des enfants.
  • Tout aussi paradoxale apparaît la conséquence du second axe d’évolution, à savoir le développement de l’économie de marché, qui a pour conséquence une « étatisation » de l’éducation. Plus l’homme et la femme seront intégrés dans les processus économiques, moins ils seront en mesure de remplir leurs devoirs d’éducateurs et de parents. Ainsi, exactement comme pour le chômage ou les atteintes à l’environnement, les problèmes se voient externalisés et livrés à la régulation étatique. La responsabilité de l’éducation des enfants, qui freine la disponibilité des parents nécessaire à l’accomplissement de leurs devoirs économiques, est déléguée à l’Etat.
  • La question de savoir si l’Etat remplira lui-même cette mission ou s’il la transmettra à des tiers privés, paraît ici secondaire. L’Etat doit prendre la responsabilité de garantir la solidarité envers les enfants. Une solidarité dont les parents, sous la pression de la concurrence, peuvent de moins en moins faire preuve. Finalement, l’Etat contribue de cette manière à répandre la logique économique au sein de la société, et à la transformer en véritable société de marché. Là aussi, il y a un paradoxe : l’Etat contribue à détruire la conscience du devoir et du lien avec sa descendance qui constitue pourtant son premier fondement.

Dans un contexte aussi incohérent, des divergences apparissent sur les objectifs de cet accueil, entre les organisations féminines et familiales, les syndicats et les organisations sociales, les associations professionnelles et patronales. La création de centres d’accueil pour les enfants forme le dénominateur commun de politiques divergentes. Cela n’a rien de négatif en soi. Cela peut constituer un exemple caractéristique de la capacité des Suisses à élaborer des solutions pragmatiques.

L’unanimité sur la question du « quoi » associée à des divergences concernant le « pourquoi » se traduit souvent par des différences dans le « comment ». Malgré les compromis, l’élaboration d’une solution concrète créera son lot de gagnants et de perdants. Les gagnants seront incontestablement le marché du travail et l’émancipation de la femme et de l’homme. Les perdants pourraient bien être les enfants, dont le droit à une éducation optimale sera sacrifié sur l’autel des restrictions budgétaires. Différents signes le montrent déjà, comme l’inadéquation entre l’exigence d’un personnel très bien formé et le maintien de salaires indignes.

Existe-t-il des alternatives à la prise en charge des enfants par l’Etat, ou du moins des mesures qui en atténueraient la nécessité ? Tout d’abord, les crèches ne peuvent pas remplacer la présence de la famille auprès des enfants de moins de deux ou trois ans. Durant cette période, il est nécessaire de développer des solutions permettant aux parents de s’occuper de leurs enfants de manière intensive, et ce sans perdre toute opportunité de carrière professionnelle. Par exemple ? Un congé parental payé d’une année ou des aides de retour au travail.

Et, pour la période qui suit, l’Etat pourrait poser des limites aux entreprises et offrir des incitations, afin de favoriser la solidarité familiale. La loi pourrait même fixer un certain nombre de devoirs : par exemple, prescrire des horaires de travail et des vacances flexibles pour les pères et pour les mères, ainsi que des journées de congé en cas d’urgence dans la famille. L’Etat pourrait prévoir des incitations sous la forme de réduction d’impôts pour les employeurs offrant des temps partiels à tous les niveaux hiérarchiques ou atteignant un certain quota de femmes parmi leurs cadres.

Une prise en charge des enfants hors du cadre familial doit mériter son nom en ceci qu’elle doit venir comme mesure complémentaire à la famille. Elle ne doit ni la remplacer, ni surtout la détruire.

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