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La liberté et la responsabilité sur le „marché libre“

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Von Kontrapunkt* vom 27. März 2007

La politique est toujours aussi fréquemment confrontée à la meilleure façon de résoudre les problèmes de société et d’économie: à travers les mécanismes étatiques ou la concurrence du marché? Est-ce que le prix du pétrole doit réduire les émissions de CO2 ou faut-il qu’une taxe incitative motive le consommateur à diminuer son utilisation d’énergies fossiles? Est-ce que le marché mondial doit transformer les paysans en entrepreneurs compétitifs ou est-ce que la politique agricole doit rendre socialement supportable les changements structurels? Est-ce que les entreprises doivent engager les jeunes chômeurs aux conditions du marché ou faut-il que l’Etat les aide dans leurs démarches? Dans notre système libéral, nous penchons invariablement vers le marché pour résoudre les problèmes de notre société parce que nous comprenons le marché comme représentant de la liberté et l’Etat comme contrainte. En fait il s’agit d’une double erreur.

L’économie de marché est sans aucun doute le système économique qui garantit le plus les chances de développement des individus. Elle est le régime qui offre la liberté individuelle et la responsabilité personnelle. En même temps, c’est un modèle qui réussit à offrir la croissance économique collective. Cette supériorité du marché libre par rapport aux autres formes d’économie se fonde souvent sur un raisonnement qui voudrait que le „marché libre“ et non un mécanisme d’organisation centralisé permette à la main invisible du marché d’agir -il suffit de consulter la brochure d’Avenir Suisse: „Wirtschaftspolitische Mythen, Argumente zur Versachlichung der Debatte, 2006-. Cela sonne bien et cela correspond à notre expérience d’un système économique qui satisfait les besoins individuels et le succès collectif. Mais est-ce vraiment le cas?

La thèse qui voudrait que le marché libre produise le bien-être par sa propre loi – ainsi qu’on le propage aujourd’hui-, c’est un mythe. La „main invisible“ n’est pas une loi du marché. Elle n’est pas un principe de fonctionnement immanent qui encouragerait le bien-être collectif. Elle est plutôt la main de Dieu à laquelle Smith croyait encore. La „providence“, la „nature“, l'“être divin“ ou „Dieu“ étaient des synonymes à la „main invisible“ pour signifier l’harmonie préétablie. La recherche d’un bonheur commun était le devoir de Dieu et non des hommes. L’harmonie divine qu’il a ainsi garantie, dans le cosmos et la société, c’était une croyance de base qui seul permettait la libération de l’intérêt personnel et les forces du marché. Il en va tout autrement de l’économie moderne. Elle trace Dieu de ses fondements et inverse les causes et les effets. L’harmonie n’est plus une condition, mais le fruit du marché libre. Le marché reprend le cahier des charges des mains de Dieu. L’économie se mue en métaphysique latente. La „communauté de croyance des économistes“ (Hans Christoph Binswanger) s’inscrit elle-même dans le mythe, lequel ne reflète nullement la croyance de l’équilibre stoïcien.

Le discours sur le „marché libre“ est à double sens: Qui est le porteur de cette liberté: le marché ou les participants au marché – le système ou les personnes? S’il s’agit du marché qui doit être libre: Faut-il viser une économie de marché sans limites, est-ce un marché déchaîné sous la forme d’un darwinisme social au sein duquel seul le droit du plus fort compte? Et si c’est la personne qui est libre sur le marché: Est-ce que cela peut marcher? Est-ce que la concurrence rend les personnes libres? La concurrence n’est pas la liberté mais une contrainte. C’est une institution de marché qui force les personnes à se faire concurrence. La liberté que l’on recherche à travers l’économie de marché  doit être une liberté des personnes et non des institutions. L’objectif, c’est la possibilité pour tous de se développer dans la société et l’économie.  Cette liberté en tant que responsabilité personnelle est sans nul doute centrale pour notre image d’homme. Mais crée-t-on les conditions nécessaires pour que tous nous puissions agir comme individuellement responsables sur le marché? Est-ce que l’égalité des chances existe? Elle aussi n’est qu’un postulat et non pas la réalité. Nous ne devons pas confondre les idéaux propres et la réalité. La condition à une réelle liberté et égalité, c’est un système social juste et pour cela nous avons besoin de l’Etat. La première erreur est de ne pas reconnaître que notre liberté est assurée par l’Etat.
Si nous organisons le marché en une institution irresponsable, comme un pouvoir, nous allons détruire la liberté dans la société. Si nous ne sommes pas prêts de garantir volontairement nos engagements, nous devons donner le mandat à l’Etat d’assurer la justice sociale. Celui qui a le pouvoir essaie toujours d’abuser de sa liberté si on n’exige pas de lui une action responsable.  Plus nous nous comprenons comme des égoïstes (c.à.d. maximisateurs d’utilité rationnels), plus on a besoin de l’Etat pour protéger notre liberté de celle des autres et pour préserver notre liberté. C’est un paradoxe: C’est justement l’idéologie économique d’hommes en tant qu’êtres de marché (lesquels se nomment même libéraux) qui conduit à l’expansion de l’Etat. L’Etat devient alors liberté, le marché contrainte. Ne pas le reconnaître, c’est la deuxième erreur.

Le marché ne crée la liberté que si l’on fait preuve de responsabilité dans l’économie. En particulier les managers et les détenteurs du capital doivent s’engager dans leur utilisation de la liberté économique à se montrer responsables des conséquences de leurs actes dans la société. Si l’on sépare la liberté de la responsabilité (comme le fait la brochure d’Avenir Suisse), la liberté se réduit à un privilège des puissants, ceux qui ont la possibilité de générer du capital et ainsi de gérer d’autres marchés, notamment celui du travail. Alors la liberté que nous permet le marché n’est pas utilisable pour tous. Elle se réduit à la liberté des „capitalistes“ et elle n’est plus la liberté de toute l’économie (ne parlons même pas de celle de la société et des hommes qui y vivent). Plus les puissants exploitent leur liberté comme un privilège, plus l’Etat doit se soucier de régler la liberté (aussi la liberté economique), afin d’assurer le respect de la responsabilité et de la solidarité. Un abus de liberté conduit à sa limitation.

Contre la seule perspective économique, on peut s’aider de deux manières: Soit on rappelle les dirigeants de l’économie à leur responsabilité sociale et écologique et l’on crée un cadre compact avec des obligations précises, ou la politique prend les choses en main, dans le sens où elle transforme la responsabilité éthique en obligations légales. L’économie peut prendre des mesures de sa propre initiative et dans son intérêt à long terme (comme le font Swiss Re, Shell ou BP à propos des conséquences économiques des émissions de CO2) ou c’est l’Etat qui doit décider de taxes sur le CO2 pour sauver l’environnement. Il en va de même du maintien des structures de l’agriculture, pour diminuer le nombre des „working poors“ parmi les paysans ou pour la création de places de formation fédérales pour des jeunes sans perspectives sur le marché.Sans responsabilité volontaire de l’économie, le marché détruit l’environnement et crée de la pauvreté au sein des perdants de la globalisation.
Le paradoxe s’amplifie: Plus la liberté du marché est effrénée, plus l’expansion de l’Etat s’accroît. Car là où nous manquons de responsabilité dans l’économie, c’est à l’Etat de reprendre cette responsabilité. Si nous voulons moins d’Etat, nous devons exiger une économie socialement responsable.

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