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Pour financer la protection sociale de manière équitable et durable

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Von Kontrapunkt* vom 24. November 2010

L’équilibre financier des assurances sociales est un impératif que personne ne conteste. Mais les mesures prises à cet effet – réduction des prestations et augmentation des recettes – se révèlent insuffisantes pour garantir ou rétablir cet équilibre à long terme. Par ailleurs elles ne respectent pas toujours les exigences de solidarité et d’efficacité économique.

L’équilibre financier de la plupart des assurances sociales est fragile. Le volume des prestations fournies croît plus rapidement que celui des ressources, principalement les cotisations prélevées sur les salaires.

L’allongement de l’espérance de vie, le niveau plus élevé du chômage de longue durée, l’accroissement des cas d’invalidité notamment alourdissent la charge financière des assurances. Alors que simultanément la stagnation économique, la politique d’austérité budgétaire des collectivités publiques et le recul de la proportion d’actifs dans la population freinent une évolution correspondante des ressources.

Les révisions récentes et en cours des différentes branches de la protection sociale obéissent en règle générale au même scénario, à l’exemple de la récente révision de la loi fédérale sur l’assurance chômage (LACI) : réduction sélective des prestations pour comprimer les coûts d’une part ; prélèvement supplémentaire des sources traditionnelles de financement, notamment les cotisations sur les salaires d’autre part. Ces corrections, le plus souvent homéopathiques, si elles rendent plus facile le consensus politique, n’allègent que très provisoirement les problèmes financiers des assurances. Elles reposent sur une analyse comptable à court terme qui privilégie les économies et néglige l’impact des décisions sur la solidarité d’une part et l’activité économique d’autre part.

La protection sociale regroupe des assurances (maladie, indemnités pour perte de gain, chômage, maternité, invalidité, accidents professionnels, prestations familiales, vieillesse et survivants) instituées à des époques différentes et dont les logiques de fonctionnement sont historiquement datées. Plutôt que de bricoler des adaptations à la marge, il serait opportun de s’interroger sur la pertinence de ces logiques. Prenons l’exemple des cotisations salariales, source principale du financement des assurances sociales. Aujourd’hui, la masse salariale croît moins rapidement que le produit intérieur brut. La part des salaires dans le revenu national connaît une baisse tendancielle au profit du capital, alors que les dépenses sociales sont à la hausse. L’assiette fiscale sur laquelle repose principalement le financement de la protection sociale n’est donc plus à même de répondre aux besoins, à moins d’augmenter les cotisations. Mais dans un contexte de concurrence internationale, un prélèvement accru sur les salaires peut conduire les entreprises à réduire l’emploi afin de comprimer leurs coûts. De plus, le fait de prélever les cotisations sur les salaires favorise les entreprises qui mobilisent surtout du capital (banques, assurances, négoce international par exemple) au détriment de celles qui emploient beaucoup de main-d’œuvre. Enfin, en temps de crise, une politique anti-cyclique exigerait de réduire les cotisations afin de soulager les budgets des ménages et des entreprises. Or nous pratiquons exactement l’inverse en augmentant les cotisations pour financer l’accroissement des besoins sociaux. Les économistes genevois Yves Flückiger et Javier Suarez ont confirmé empiriquement ces effets néfastes du prélèvement sur la masse salariale*. Même si leur analyse date de 1995, elle mérite d’être actualisée et prise en considération dans le débat actuel sur le financement des assurances sociales.

Prolongeant leur réflexion, ces deux auteurs ont défini des critères pour déterminer des modes de financement qui tout à la fois garantissent un financement suffisant, sont favorables à l’emploi et n’entraînent pas de distorsions de compétitivité entre les entreprises. Ils suggèrent que les prestations sociales qui ont principalement un caractère d’assurance soient financées selon le principe de causalité. Ainsi, en matière de prévoyance professionnelle – chaque assuré épargne pour son capital-retraite -, il est logique de prélever les cotisations sur les salaires. De même, puisque les entreprises sont responsables de la sécurité au travail, le financement de l’assurance contre les accidents professionnels devrait leur incomber par le biais de cotisations patronales sur la masse salariale. En ce qui concerne le chômage, on peut estimer que l’employeur porte une part de responsabilité. Par exemple s’il procède à des  licenciements pour utiliser de manière plus intensive son parc de machines, il fait porter à la collectivité les coûts sociaux de sa décision. C’est pourquoi, pour financer l’assurance chômage, les auteurs préconisent une cotisation sur la valeur ajoutée brute de l’entreprise (CSVA) qui inclut notamment la masse salariale, les amortissements, et le revenu net d’exploitation. Ce système présente l’avantage d’élargir la base de prélèvement des cotisations, de faire contribuer les entreprises proportionnellement à leur capacité économique et de supprimer les discriminations entre entreprises à forte intensité de main-d’œuvre et celles à forte intensité en capital et de dissuader le remplacement d’un facteur de production (le travail) par un autre (le capital).

Par contre le financement des assurances sociales qui servent à l’ensemble de la collectivité et déploient des effets fortement redistributifs devrait reposer sur une assiette fiscale plus large. Pour l’AVS, l’assurance maternité et les allocations familiales, les auteurs pensent à une contribution sociale généralisée- un impôt frappant tous les revenus de manière proportionnelle – et à la TVA, une taxe neutre du point de vue de la capacité concurrentielle de l’économie nationale et qui réduit les risques de fraude. Quant aux allocations pour perte de gains en cas de service militaire ou de service civil, leur financement ne devrait pas être à la charge des employeurs et des salariés, mais assuré par le budget de l’Etat, puisque c’est lui qui impose ces obligations.

Les deux économistes genevois ne prétendent pas livrer des solutions clé en main. L’impact social et économique de leurs propositions devraient faire l’objet d’une évaluation serrée. Mais cette approche par les objectifs spécifiques de chaque assurance, qui distingue celles qui relèvent de l’assurance au sens strict et celles qui présentent un caractère fortement redistributif, pourrait constituer une solide base de discussion pour assurer un financement tout à la fois durable et équitable de la protection sociale.

* « Propositions de réforme du financement de la sécurité sociale en Suisse », Yves Flückiger, Javier Suarez, in La sécurité sociale en Europe à l’aube du XXème siècle, Pierre-Yves Greber (éditeur), Bâle, 1996

* Diesen Text haben folgende Mitglieder von kontrapunkt mitunterzeichnet:
contrepoint, Conseil de politique économique et sociale, a été constitué à l’initiative du « Réseau pour la responsabilité sociale dans l’économie ». Le Conseil comprend actuellement 27 membres et s’est donné pour tâche d’approfondir le débat public, trop souvent polarisé et superficiel, par des contributions qui prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles et mettent en évidence des aspects négligés des problèmes débattus. Ont contresigné ce texte les membres suivants de contrepoint: Gabriella Bardin Arigoni, politologue, Gy; Dr. Peter Hablützel, Hablützel Consulting, Berne; Dr. iur. Gret Haller, Université de Frankfort-sur-le-Main; Prof. Hanspeter Kriesi, politologue, Université de Zurich; Prof. emer. Dr. René Levy, sociologue, Université de Lausanne; Prof. Philippe Mastronardi, spécialiste en droit public, Université de St. Gall; Prof. Hans-Balz Peter, spécialiste en socio-éthique et socio-économie, Université de Berne; Dr. oec. HSG Gudrun Sander, économiste, Université de St. Gall; Prof. emer. Peter Ulrich, spécialiste en éco-éthique, Université de St. Gall; Prof. emer. Mario von Cranach, psychologue, Université de Berne; Prof. emer. Karl Weber, sociologue, Université de Berne; Prof. Theo Wehner, psychologue, ETH Zurich, centre pour les sciences de l'organisation et du travail, ETH Zurich; Daniel Wiener, MAS Arts Management, Bâle; Liliana Winkelmann, M.A., Zurich.

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